Parole de chef « Je ne servirai jamais de viande in vitro »
S’il réfléchit à l’alimentation pour 2050 au sein de son Centre français d’innovation culinaire, le chef étoilé Thierry Marx exclut d’emblée la « viande » de culture de sa carte (1). L’assiette du futur ne peut pas être qu’une affaire de technologie ou de prix.
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« J’ai du mal à appeler cela “viande” », explique Thierry Marx. Dans la gastronomie, vous mangez une histoire, une relation à l’humain, au terroir. Dans l’alimentation, c’est plus compliqué. C’est-à-dire que l’on entrevoit encore, à travers ce type de pratique, quelque chose d’ultra-transformé destiné aux plus modestes. Dans un pays confronté à une fracture alimentaire, au-delà d’une fracture sociale, cela nous inquiète. Vous avez une alimentation pour ceux qui peuvent payer et une autre pour ceux qui ne vont pas bien. La « viande » in vitro, c’est encore la théorie du « pas cher » avec les mêmes éléments de langage depuis les années 1970 : « Renoncez à la qualité, on vous fait des petits prix. » Aujourd’hui, l’industrie et la grande distribution se sont emparées de cela, avec des formes de marketing puissantes. »
À deux vitesses
« À Paris-Saclay où j’ai cofondé avec le chercheur Raphaël Haumont, le Centre français d’innovation culinaire (CFIC), nous regardons ce qu’est l’alimentation du futur, poursuit le chef étoilé. Mais on ne voudrait pas laisser croire que la science et la technologie peuvent répondre aux impacts environnemental et social. À chaque fois qu’on veut nous vendre ce type de produit, on nous les met en avant. L’industrie agroalimentaire s’adapte. Il faut faire moins de viande ? Être plus vertueux pour la planète ? Et elle vous sort tout le lexique des impacts environnementaux en vous disant que ça va être merveilleux. C’est très gênant. Quand je vois ce qu’il faut en termes d’énergie pour produire ce qu’on voudrait appeler de la viande… Nous n’avons pas assez de recul. Et se restaurer, ça n’est pas cela. C’est ramener dans l’assiette une histoire, un savoir-manger, un savoir-être autour de la table. C’est le plaisir, le bien-être, la santé. Pour toutes ces raisons, je n’en mettrai jamais à ma carte. »
Trompe-l’œil
« Dans ce mot viande, il y a déjà une tromperie. On va vers une industrialisation massive de l’alimentation, donc un appauvrissement culturel encore plus fort. Il y a quelques années, on a massifié la production de foie gras et il est devenu assez banal. On continue dans cette voie pour encore plus de revenu, plus d’industrialisation, plus d’appauvrissement culturel. Ce qui m’inquiète, c’est la perte de culture et la manipulation des masses sur l’alimentation. Plus vous allez appauvrir les masses en termes de culture, moins elles sauront ce qu’elles ont à manger dans leur assiette, et plus vous les manipulerez. C’est une perte d’identité locale, nationale pour aller vers une alimentation mondialisée et normalisée. »
Boîte de Pandore
« Je peux me tromper. Mais ces nouveaux procédés sont une boîte de Pandore, et on a plutôt intérêt à essayer de la contenir, ajoute Thierry Marx. Je milite aujourd’hui pour qu’on comprenne ce que l’on mange. On ramène tout sur la consommation et le prix, pas assez sur la culture. Savoir manger, c’est redonner du sens à son alimentation. Se restaurer cela veut dire quelque chose en termes de lien social aussi. Sinon, on peut se nourrir comme à la Pitié Salpêtrière, avec une perfusion. »
(1) Thierry Marx est intervenu lors d’une table-ronde sur la viande in vitro organisée le 8 février au Sénat.
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